A LA FASHION WEEK DE MILAN, UN LUXE TOUT EN DOUCEUR

Cachemire moelleux chez Max Mara, longues robes en laine chez Fendi, manteaux en cuir matelassé chez Jil Sander : les collections féminines automne-hiver 2024-2025 ont décliné les formes enveloppantes et élégantes.

Quand le ciel milanais est-il devenu jaune ? Depuis le début de l’année 2024, la capitale économique et industrielle de l’Italie ne cesse de dépasser les normes autorisées pour les particules fines. Des mesures antipollution – restrictions de circulation, appels à baisser le chauffage, interdiction d’épandage de lisier dans les champs alentour – ont été mises en place à partir du 20 février. Cette date coïncidait avec le début de la fashion week féminine automne-hiver 2024-2025, qui a néanmoins suivi son cours jusqu’au 26 février, avec son cortège de voitures et ses cinquante-six défilés. Quoique souvent déconnectée de l’actualité, la saison a été réussie et les maisons italiennes ont brillé dans ce qu’elles savent faire de mieux : l’élaboration d’une garde-robe élégante et portable.

Le « luxe discret », tendance lourde de la saison passée, est de retour. Pas forcément synonyme d’ennui, il peut même être un terrain propice à l’épanouissement, comme chez Fendi. Depuis son arrivée dans la maison romaine, en 2020, l’Anglais Kim Jones (aussi aux manettes chez Dior Men) a tâtonné, cherchant à bousculer le classicisme luxueux de la griffe avec une touche futuriste, sans, jusqu’à présent, réussir à dépasser l’impression d’un chic glacé. Cette saison, il s’est inspiré des archives Fendi de 1984 : « Les croquis me rappelaient Londres à cette époque où se mélangeaient les nouveaux romantiques, les styles workwear et aristocratique, où les sous-cultures britanniques avaient une influence mondiale. »

Débarrassé de ses velléités avant-gardistes, Kim Jones livre sa collection la plus convaincante. Et déroule un vestiaire impeccable, à base de cols roulés et de pantalons de costume, de robes en laine et de longs manteaux, avec juste ce qu’il faut de décalage pour que ce vestiaire classique prenne une dimension mode : les chemises sont portées derrière-devant mais parfaitement ajustées, les pulls démantelés tournicotent autour du buste, les jeux de couleur (une touche d’azur, un zeste de curcuma) pimentent les silhouettes les plus sages. Le défilé a à peine été troublé par l’arrivée de deux militants de la cause animale – Fendi faisant partie des quelques maisons n’ayant pas renoncé à la vraie fourrure – qui ont réussi à se frayer un chemin jusqu’au podium avant d’être sortis par les agents de sécurité.

Chez Max Mara, les militants sont aussi présents, brandissant une pancarte « Go fur free » devant l’entrée du défilé, mais n’infiltrent pas le palazzo del Ghiaccio, magnifique édifice Art nouveau qui fut la plus grande patinoire couverte du monde lors de son inauguration, en 1923. A l’intérieur, on découvre une ode à la sobriété luxueuse, dans une version plus épurée que Fendi mais tout aussi réussie. L’inspiration principale de la collection est l’écrivaine Colette, dont le designer Ian Griffiths admire les prouesses littéraires, mais aussi le « côté sensuel, boudoir ».

En découlent des silhouettes monochromes bleu nuit, noires ou gris fumé, taillées dans des flanelles soyeuses ou tricotées de cachemire moelleux. La longueur des robes et des manteaux qui frôlent le sol contraste avec les formes arrondies (épaules larges et douces, volume dans le dos, manches kimono). Du caban à la jupe fendue, de la veste croisée au pantalon taille haute, toutes les données de l’équation mode sont connues, mais le résultat séduit grâce au travail rigoureux sur les formes. « En mode, on a tendance à ne plus tellement s’intéresser à la silhouette ; c’est dommage parce que c’est aussi important que les couleurs », remarque justement Ian Griffiths.

Châles et capes

Ce sont aussi les Années folles qui inspirent Maximilian Davis chez Ferragamo : « A cette époque, on utilisait les vêtements comme une manière de célébrer la liberté », devise le designer, qui signe ici l’une de ses meilleures collections, avec des silhouettes monochromes très épurées. Un tailleur-pantalon terre de Sienne, une robe polo drapée olive, une robe col roulé pourpre en soie fluide, une robe noire composée d’énormes sequins brillants comme du pétrole… les looks explorent des registres différents, mais possèdent en commun la clarté des formes et la somptuosité des matières. « Dans les années 1920, les gens avaient recréé un espace de liberté dans les speakeasies. Ils s’y réfugiaient et ne découvraient leur tenue qu’une fois à l’abri », commente Maximilian Davis, qui a transposé cette idée au travers de châles ou de capes recouvrant les épaules, « comme une forme de protection ».

Le vêtement protecteur constitue aussi la colonne vertébrale du défilé Jil Sander. « Le décor, les tissus, les formes : tout converge vers l’idée du cocon, de l’enveloppe, expliquent Luke et Lucie Meier. Ce n’est pas une réaction à quelque chose en particulier, mais plutôt une évidence qui s’est imposée à nous. » Le défilé se déroule dans un espace ovale, tapissé d’un tissu pelucheux vert pâle, ponctué d’enceintes bleu cobalt diffusant la performance du musicien américain Mk. gee. Quelles tenues pour évoluer dans cet univers ouaté ? Celles d’infantes futuristes, évoquant autant un tableau de Diego Velazquez qu’un film de science-fiction. Les tissus enrobent les corps, le velours se déploie à travers une combinaison moelleuse ; la soie jaillit des épaules et s’étire en large cape dans le dos. Les tailleurs en laine aux formes arrondies donnent l’impression d’être gonflés d’air, les manteaux en cuir matelassé semblent destinés à absorber les chocs. Une grosse broche en argent agrafée sur le col d’une veste, des franges en métal incrustées dans le dos, des souliers velus et des bonnets brillants complètent ces silhouettes frappantes et très séduisantes.

Pas de surprise du côté d’Armani, qui fait preuve d’une constance stylistique exceptionnelle. Pour la ligne Giorgio Armani, le créateur éponyme veut faire passer un « message de grâce et d’espoir en lien avec l’énergie de la nature » et les fleurs en particulier, qui « éclosent même dans les profondeurs de l’hiver ». Dans cette garde-robe plutôt sombre, elles apportent de la lumière, déployées en sequins pour faire scintiller une robe noire, façon broche ornementale pour fermer une robe drapée, brodées le long d’une bretelle couvrant une épaule nue, épanouies en imprimés fuchsia sur une blouse en soie…

Pour sa ligne plus décontractée Emporio Armani, le designer de 89 ans a imaginé un ciel nocturne piqué d’étoiles et baigné par la clarté de la Lune. En découle une palette d’aurores boréales (du noir, des nuances de mauve, d’ultraviolet, de jade et de gris) qui lui permet de jouer avec les textures : soies brillantes, laines lavées et mates, jacquards texturés et mailles en fausse fourrure. Les formes sont amples et enveloppantes, des pantalons surgissent sous les robes bouffantes, jusque dans les tenues du soir où une poussière d’étoiles scintillantes faite de strass vient recouvrir ces vêtements confortables.

« Smoking » : le titre du défilé Dolce & Gabbana donne le ton. « C’est le symbole ultime du style pur, s’enflamment Domenico Dolce et Stefano Gabbana. En travaillant le smoking, on peut proposer aux femmes une garde-robe libérée des tendances et qui leur donne confiance en elles. » Ainsi le duo propose une collection presque entièrement noire, mélangeant les éléments classiques du costume du soir (le revers de la veste brillant, la ceinture de soie, la bande en satin le long du pantalon) avec l’ADN sexy-chic de la maison (lingerie apparente, fourrure opulente, voilette et bibi, talons aiguilles). Un top en cotte de maille ou une jupe irisée brodée de strass apportent un peu de lumière dans cette collection qui célèbre une femme mature et élégante, parfois incarnée par des mannequins quinquagénaires telles Eva Herzigova ou Naomi Campbell. Dolce & Gabbana semble avoir durablement tourné la page du jeunisme, comme toute une partie de la mode italienne qui s’épanouit vraiment dans le vestiaire de la donna.

Milan Fashion Week : l’exercice périlleux des premiers défilés

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